Eloge funèbre d'André Mialane par Paul Leroy-Beaulieu...

Ce journal du 28 septembre renferme un article consacré à l'inhumation d'André Mialane à Lunas le mercredi 23 septembre 1890.

 

LUNAS - Mercredi ont eu lieu dans notre ville, les obsèques de M. André Mialane, maire de Lunas et conseiller d’arrondissement de ce canton.
   Le deuil était conduit par son fils, qu’accompagnait M. Leroy Beaulieu, et par son gendre.
   De riches couronnes, hommage des administrations dont faisait partie le défunt, et de toutes les communes du canton, précédaient le cercueil, qui disparaissait sous les fleurs.
  Derrière le deuil nous avons remarqué beaucoup d’étrangers, de délégations de toutes les communes, et une foule nombreuse ; tout Lunas assistait à la cérémonie.
  Nous ne saurions assez faire l’éloge de cet homme de bien, que tout le monde pleure ici ; nous laissons ce soin à son honorable et savant ami, M. Paul Leroy Beaulieu, qui a prononcé sur sa tombe le discours suivant :

« Messieurs.

   Toute cette foule qui est accourue dans cette église et dans ce cimetière, toute cette population qui est réunie dans un sentiment de tristesse, font assez ressortir combien est grand le deuil qui nous afflige.
   Nous venons de perdre un homme dont toute la vie a été marquée par une incessante et productive activité, par des services prodigués autour de lui, par des exemples fortifiants donnés à tous ceux qui l’ont connu.
   Mialane fut un homme de travail, un homme de progrès et un homme de bien.
   Jamais à aucun moment de sa vie il ne sacrifia soit au repos, soit à la routine, soit à l’égoïsme.
   Il était de ceux qui jugent que la vie est une lutte, mais une lutte où chacun doit avoir pour but de contribuer au bonheur de tous, d’associer à sa prospérité personnelle tous ceux qui l’entourent et de faire, sur quelque point, avancer d’un pas l’humanité.
   Industriel, il avait de l’industrie la conception la plus haute et la plus généreuse.
   Ses débuts furent modestes, vous en avez été témoins, il n’en rougissait pas.
   Vous savez par quels échelons il s’éleva à la grande situation qu’il occupait dans les dernières années de sa vie ; il dut ses constants succès à la réunion de ces trois forces : l’intelligence, la volonté, la probité.
   Intelligent, il l’était à un degré supérieur ; nul n’eut plus d’ouverture d’esprit ; dans un coin de nos montagnes, absorbé par un travail public, il savait guetter, surprendre et le premier à utiliser une des plus utiles découvertes de la chimie contemporaine.
   Il avait une étonnante puissance de volonté, jamais il ne sut ce qu’est la lassitude, le découragement. Les obstacles redoublaient ses efforts et finissaient par céder à son énergie et à sa persévérance.
   Sa probité s’affirmait dans les transactions les plus multiples, dans les affaires les plus diverses et lui valaient la confiance générale.
   Laissez-moi relever un ou deux incidents de cette carrière si ample et si variée.
   Après des travaux publics d’ordre secondaire, il construisait comme entrepreneur cette splendide route de l’Escalette, l’une des plus belles œuvres exécutées il y a 30 ans. Les rochers, à chaque instant, arrêtaient le progrès de l’entreprise. La poudre de mine ne suffisait pas à les disperser. Le voici qui s’enquiert, qui apprend que, bien au loin, on vient de découvrir une substance nouvelle, singulièrement dangereuse et puissante, la nitroglycérine. Il avait accès auprès d’un homme, un savant et un administrateur dont le nom est connu et vénéré de tous dans ce pays, Michel Chevalier, il prend auprès de lui des renseignements. Et voici Mialane qui, sans connaître aucune langue étrangère, dans un temps où les Français sortaient peu de chez eux, se rend en Allemagne, se rend en Suède, pour apprendre ce qu’est cette force nouvelle et magique, si supérieure à la poudre. A son retour, les rochers de l’Escalette tombent comme par enchantement ; les ingénieurs s’émerveillent de la rapidité et de la facilité du travail, et voilà comment, dans cet entonnoir de montagnes, près de ce petit village de Pégayrolles de l’Escalette, par l’audace d’un homme d’initiative, se fit, il y a trente ans, la première application aux travaux publics de la nitroglycérine qui, plus tard par des perfectionnements la rendant plus maniable et moins dangereuse, devait devenir la dynamite.
   Mialane était un précurseur.
   Vous l’avez vu dans d’autres travaux qui ont répandu la vie sur ces campagnes : au tunnel de Saint-Sixte, dans la construction de cette riante et laborieuse route de Bousquet à Avène. Il se complaisait aux difficultés qui suscitaient les ressources de son esprit.
   Vous l’avez vu aussi créant une des plus importantes maisons de Roquefort.
   Ses entreprises changèrent plus tard de caractère ; elles s’étendirent, elles cessèrent d’être locales, elles devinrent cosmopolites. Il s’était voué à la propagation de cette force, dont il avait suivi l’éclosion et les développements et qui rend possible tant de travaux jugés autrefois inexécutables, la dynamite.
   Il semblait que Lunas ne fut pas l’endroit le plus central, le siège le plus naturel, pour un homme ayant des occupations si vastes.
   Bien des fois on le sollicita de venir s’établir à Paris ou dans quelqu’un de nos principaux ports ; on lui faisait valoir qu’il serait plus à portée des grandes entreprises, que sa fortune pourrait y gagner, qu’il s’épargnerait bien des déplacements et des fatigues.
   Il ne voulut jamais quitter Lunas. Il se plaisait à rester villageois, à vivre cordialement, simplement, avec tous ceux qui l’avaient connu pendant sa jeunesse, à être sans morgue, sans prétention, le compagnon de tous.
   Comme il était joyeux quand après une de ses fréquentes mais courtes absences, il rentrait à Lunas, et comme on y était heureux de le voir. Il ne cherchait que cette popularité saine qui accompagne spontanément l’homme de bien. S’il fut conseiller d’arrondissement et maire, ce fut dans un esprit d’absolu détachement personnel, pour rendre service à sa commune et à son canton. Tous en sont témoins.
   Fidèle à ses amitiés, bon et indulgent pour tous, dévoué au public, il faisait dans sa vie deux parts, la sienne propre et celle des autres.
   On était frappé d’admiration pour cette riche nature, si pleine de puissance de travail, d’entrain, d’intelligence, de gaieté, de libéralité.
   Tous ceux qui l’ont connu béniront sa mémoire ; les pauvres et les humbles regretteront leur bienfaiteur, tous pleureront leur conseiller et leur ami.
   Son nom continuera d’être dignement porté parmi nous ; ses exemples seront suivis. C’est sur la tombe que l’on juge la valeur des hommes ; en ce jour de séparation cruelle, éclate, plus que jamais aux yeux de tous, la grande valeur de Mialane."

Paul Leroy Beaulieu (1843-1916)

   Issu d'une famille parlementaire et orléaniste, fils de Pierre Leroy-Beaulieu, il fait ses études au lycée Bonaparte à Paris. Licencié en droit de la faculté de Paris, il poursuit ses études à Bonn et à Berlin. De retour en France, il se consacre à l'étude des sciences économiques et sociales. Représentant d'une nouvelle génération d'économistes, il devient chef de file des économistes libéraux. Il publie un certain nombre d'études sur les salaires ouvriers, l'administration locale en France et en Angleterre, et le travail des femmes employées dans les travaux d'industries.

   En 1870, il remporte un prix de l'Institut avec un mémoire sur le
Système colonial des peuples modernes, qu'il augmente et publie en 1874 sous le titre De la colonisation chez les peuples modernes. Avec cet ouvrage, Leroy-Beaulieu devient l'un des porte-parole de la colonisation, inspirant les discours de Jules Ferry, et invitant la Troisième République à une nouvelle expansion coloniale.

   Il reprend en 1873 le titre L'Économiste français. De 1879 à 1881, il est titulaire de la chaire de science financière à l'École libre des sciences politiques. En 1878, il succède à son beau-père Michel Chevalier à la chaire d'économie politique du Collège de France et il est élu membre de l'Académie des sciences morales et politiques. Il fut également membre de la Fédération nationale des Jaunes de France. Membre de la Société d'économie politique, il est élu vice-président en 1893 puis président en 1911.

(d'après WIKIWAND.com/fr)

documentation réunie par J & L Osouf - 2019

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