"Le Gravezon" de Raymond  LUCHAIRE :
 

Beau Gravezon, joli ruisseau,

Belle eau fraîche, qu’on pourrait boire,

Beau Gravezon, joli ruisseau,

Je vais raconter ton histoire.

 

Dès ta naissance, petit ru,

Qui gazouille entre les pierres,

Tu t’élances à corps perdu

Sous la ramure et sous le lierre.

 

Un tronc d’arbre, soudain t’arrête

Tu te gonfles, interloqué,

Le contournes et t’apprêtes

A poursuivre ta randonnée.

 

Tu glisses sur la pierre blanche,

Et lèches tes rives moussues

En disant bonjour aux pervenches

Et cachant la truite goulue.

 

Puis tu entres en adolescence,

Grossi par le ru de Mélac

Et là, plein de suffisance,

Tu fais entendre un doux ressac.

 

Tu creuses alors maintes fissures

Sous l’aulne vert et les ajoncs,

En grossissant ton doux murmure

Pour effrayer les papillons.

 

Tu casses et tords les fines branches

Qui t’égratignent en passant,

En laissant une écume blanche,

Sur les pierres et sur tes flancs.

 

 

Puis de cascade en cascade

Tu prends le ruisseau de Sourlan,

L’entraînant dans ta cavalcade,

Toujours joyeux et clapotant.

 

Et enfin le premier village!

Ton orgueil est démesuré,

Lorsque grossi par les orages,

Tu franchis la grand chaussée.

 

Entraînant dans ton eau jaunâtre,

O pervers petit Gravezon,

Gravier blanc et déchets de plâtre,

Branches mortes et bois vagabonds.

 

Tu heurtes alors d’un front hostile,

Le vieux pont, souvent rénové

Qui ne s’émeut et ne vacille

Quand tu fonces tête baissée.

 

Tu vas alors donner la bise,

Hypocrite petit ruisseau,

A l’ennemi le ru de Nize,

Presque aussi long, presque aussi gros.

 

Mais tu ignores ton destin

Beau Gravezon que j’aime tant.

Onde fraîche, pleine d’entrain

A une heure la mort t’attend.

 

Une mort vaine et sans gloire,

Une fin plein de remords,

Belle eau fraîche, qu’on pourrait boire

Tu te noies et tu meurs dans l’Orb.

 

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