LEGENDES

Légende du Seigneur de Lunas

LUNAS TROUPAT M'AS - LUNAS TU M'AS TROMPé

(ce texte du Lunassien Jacques BLAYES paru dans la presse locale en 1986, reprend une légende dont il existe différentes versions)

   "Ma grand-mère paternelle née vers 1850, nous donnait une version bien vivante et originale de tout ce qui a pu être écrit, en cherchant ou parvenant à allonger ou encore rimer cette légende.

    Elle  nous racontait avec toute la conviction et le sel des braves gens de l'époque, qui croyaient encore aux Fées, aux Revenants, aux Peurs, etc...

    Par exemple, ces gens-là étaient convaincus que les Fées du Pioch sortaient de leur trou (appelé trou des Fées, encore) pour laver leur lessive au ruisseau de Dourdou, lorsqu'il était en crue, et qu'elles faisaient sécher leur linge en l'étendant sur les buissons environnants.

    On le disait, oui, mais personne n'osait s'aventurer dans le ruisseau, très proche, afin de vérifier si les histoires étaient réelles, et pourtant, dans leur esprit cela existait, ils en parlaient avec crainte et dévotion. Les veillées d'hiver se passaient entre voisins, au coin du feu à peler des châtaignes ou à faire des biroulades (grillées) et il n'était question que de revenants, de peurs ou autre histoires anciennes. Mon père me racontait que dès les premières conversations surnaturelles, les enfants étaient envoyés au lit, mais qu'une peur insurmontable les empêchait de monter l'escalier et ils restaient derrière la porte, gelés, apeurés et tremblants de froid autant que par ce qu'ils entendaient.

   Voici donc la légende racontée par ma grand-mère Léontine BLAYES née GUIRAUD.

    Le seigneur de Lunas, Sourlan, Caunas, comte de Faugères et descendant du comte de Narbonne venait de se marier à 20 ans, avec une très belle jeune fille de 18 ans, noble comme lui évidemment. Ils étaient heureux, s'aimaient  d'un amour tendre et vivaient en leur château de Lunas en pleine euphorie. Le pauvre amoureux fut désigné pour partir aux croisades et dut laisser sa chère épouse au château. Loin de Lunas il se morfondait chaque soir sous sa tente, il rêvait de sa femme, il était malheureux et prêt à toutes les concessions qui lui permettraient de retrouver son amour.

   Sa jeune épouse attendait également et subissait sa longue solitude espérant toujours revoir son mari adoré et elle gardait jalousement sa vertu en l'attendant. Mais elle était si belle, si gentille, si désirable que le Diable, toujours à l'affût de combinaisons douteuses, aurait bien voulu séduire la jeune comtesse. Il employait toutes les ruses, les sorcelleries possibles, mais la jeune femme aimait trop son mari et n'acceptait aucune avance de quiconque, encore moins celle du diable.

    De guerre lasse celui-ci alla visiter le seigneur de Lunas sur sa couche, un jour où justement celui-ci était très impatient de revoir sa jeune épouse. Il lui dit: "Si tu veux, monte sur mon dos et tout de suite tu seras à Lunas près de ta femme." Vite fait et en un court instant, le jeune homme amoureux vit le Redondel sur lequel était bâti son château et où l'attendait sa sage épouse. Mais il était malin et pendant le court trajet, il avait bien réfléchi. Il savait surtout qu'un signe de croix faisait disparaître le diable et ne désirant pas être accompagné jusqu'au château par le triste sire, il lui demanda de le laisser boire à la fontaine toute proche : "M'as fach aganta frech et set, laïsso-mé biouré un paou d'aïgo à nostro foun" ( Tu m'as fait prendre froid et soif, laisse-moi boire un peu d'eau à notre fontaine). L'autre soupçonneux, lui attacha les mains derrière le dos, pensant éviter le signe de croix fatal pour lui. Mais le comte avait bien calculé, pour boire à son aise dans l'auge en grès de la fontaine , il se mit à genoux et dit: " Anté baou biouré? tant n'io aqui, coumo aqui, encaro aqui ou alaï" en faisant signe avec sa tête (où vais-je boire? Il y en a autant ici, comme ici, et encore ici où là-bas). Le signe fatal au diable était fait, il s'écria : "Lunas troumpat m'as". Pour me venger et me payer de ma peine je te prendrai la première chose que tu embrasseras en rentrant au château et chaque année je te prendrai également une coupe (las balajaduras) du Prat-Méjié.

    Le marché du diable risquait d'être payant car il pensait que le comte embrasserait son épouse en premier seule chose qui comptait pour lui. Avant d'entrer au château, il dit un pater et embrassa une des grosses pierres du portail d'entrée. Puis il alla vers sa petite femme et la serra fort dans ses bras. Elle était sauvée du diable !

    Le grand drame fut évité. il resta auprès de sa bien-aimée, lui conta toutes les péripéties de la vie des croisés, ses voyages, ses batailles et la façon dont il était si vite revenu de si loin. Ils en rirent bien longtemps et le diable ne se manifesta plus au château où ils vécurent heureux.

   Toutefois et parce que toute légende est basée sur des faits ayant existé, mais considérablement déformés ou exagérés, le château bâti sur le Redondel rasé à l'époque des guerres de Religion et chaque année lorsque le pré Méjié était fauché, des tourbillons de vent enlevaient bien haut le fourrage qui s'éparpillait dans la nature environnante.

Méjié : ce mot veut dire à moitié. La légende veut donner cette application à ce pré, alors qu'en réalité Pré-Méjié signifiait pré partagé avec le Diable, et donc, inventé par la suite pour bien situer l'endroit."

   Les autres versions de la légende auxquelles Jacques Blaye fait allusion dans son introduction se retrouvent dans "Lunas porte de l'Escandorgue" du docteur Henri MARC. L'une (page 85) est de maître RIVES, avocat à Bédarieux, parue dans l'Echo de Lodève du 25 mai 1851, l'autre (pages 86 à 91) d'André MIALANE qui l'écrivit à Paris en 1875 en vers (50 quatrains d'alexandrins...).

    Une quatrième version nous est donnée dans un cahier manuscrit où Madame Valentine GUERRE, épouse MAISTRE, a noté différents écrits concernant Lunas. Voici ce texte :

" Il existe à Lunas une légende qui a donné naissance à cet adage : « Lunas troumpet mas » c'est-à-dire le seigneur de Lunas trompa le diable. La voici :

    Alors que les hautes murailles de l’antique château couvraient le sommet du Redondel et que les seigneurs féodaux se prenaient de querelle sous le moindre prétexte, il advint que le châtelain de Lunas trop batailleur de sa nature, fut abandonné de la fortune et tomba entre les mains de son ennemi qui l’enferma dans un étroit cachot où il languit de longs mois attendant que sa femme envoyât la rançon qui devait le racheter.

    Mais l’infidèle pendant ce temps ne pensait qu’à mener joyeuse vie et déjà même elle songeait à convoler à de secondes noces lorsque le diable voulant gagner à lui le seigneur de Lunas va le trouver dans son triste réduit : « mon ami, lui dit-il apprends une fâcheuse nouvelle, ta femme fatiguée d’attendre ton retour doit se marier demain ; il ne te reste qu’un moyen pour l’empêcher : livre-moi ton âme et tu seras libre ». Le prisonnier repousse énergiquement une telle proposition. « Eh bien soit, reprend le diable, je briserai tes fers à ces deux conditions : la première c’est que tu m’accordes chaque année la grunade, les grains de raisin tombés à terre dans la vigne de Madame ainsi que le regain, lou « regoulubre », du pré Mégé et du pré Coquerel près de Sourlan ; la deuxième c’est que je deviendrai le maître absolu de la première personne que tu embrasseras en entrant dans ton château ». Le seigneur y consentit. L’esprit des ténèbres brise alors ses chaînes, l’enlève à travers l’espace et le dépose libre dans la campagne. Mais se ravisant il lui lie les mains derrière le dos pour l’empêcher de faire le signe de croix. Les deux compagnons prennent ensuite la route du château où ils arrivent à la tombée de la nuit. Ils entrent sans se faire annoncer dans la grande salle où de nombreux convives s’apprêtaient à faire honneur au festin de noces. Tout à coup le sire de Lunas épris d’amour pour son épouse infidèle oublie son juste ressentiment et le pardon à la bouche, il veut se jeter dans ses bras. C’en était fait de la châtelaine, elle allait appartenir au diable lorsque le captif, se rappelant sa promesse trop légère, se retourne à la hâte, embrasse une grosse pierre placée à côté de la porte d’entrée et comme ses mains n’étaient pas libres, fait avec la tête le signe de la croix. Le diable furieux d’être dupé s’enfuit en poussant d’horribles clameurs. Il emporta, comme une mince paille, la pierre qui avait reçu l’accolade du sire de Lunas et la déposa sur la promenade en avant de l’ église où on la voit encore. On l’appelle dans le pays « la peira d’au plan ».

    Le sire de Lunas apparut rayonnant de joie à son épouse stupéfaite, débarrassé de ses liens il l’embrasse et raconte à l’auditoire ses souffrances, sa longue captivité et son pacte avec le démon. Puis, sur son invitation, chacun prend place autour de la vaste table, le festin de noces devient ainsi le festin du retour. Il n’y eut d’attristé que le futur conjoint de la châtelaine qui se résigna à aller chercher fortune ailleurs.

    Afin de conserver le souvenir d’une aussi merveilleuse aventure, on créa l’adage si connu de nos jours : « Lunas trompa Mas ». Il paraît que le diable n’a pas renoncé à ses droits sur les prés Mégé et Coquerel ni sur la vigne de Madame. Parfois lorsque les verts pâturages tombent sous la faux du travailleur, un vent subit enlève la récolte. Il y a encore peu d’années encore une terreur superstitieuse s’attachait à la vigne de Madame. C’est que sur elle, planaient sans cesse des vautours et des corbeaux attirés par les cadavres des animaux que l’on abattait à côté. Le vulgaire croyait que ces oiseaux étaient envoyés par le diable pour dévaster cette vigne, maintenant transformée en prairie et située à côté du moulin de Passero."

Nous remercions Claude BRUN qui nous a fait parvenir l'article de Jacques BLAYE, retrouvé dans ses archives familiales et Philippe de FIRMAS qui nous a donné accès aux écrits de sa grand'mère.

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(J et L. Osouf janvier 2012)